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L’Union européenne : le faux-semblant climatique

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Les relevés météorologiques de l’année passée sont venus valider une fois de plus la véracité du réchauffement climatique : d’après l’Organisation météorologique mondiale (OMM), l’année 2017 compte parmi les plus chaudes jamais enregistrées sur la planète. Selon l’OMM, «il est désormais confirmé que les années 2015, 2016 et 2017, qui s’inscrivent clairement dans la tendance au réchauffement sur le long terme causée par l’augmentation des concentrations atmosphériques de gaz à effet de serre, sont les trois années les plus chaudes jamais enregistrées ».

Mis à part l’administration étasunienne, peu de responsables politiques de premier plan nient l’évidence. Face à ce qui devient une des préoccupations majeures à l’échelle du globe, les déclarations alarmistes sont légion. On se souvient de la célèbre phrase prononcée par Jacques Chirac en 2002 à Johannesburg : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs ». Plus récemment, en décembre 2017, Emmanuel Macron déclarait que « nous sommes en train de perdre la bataille » du climat. A ce jeu-là, les responsables européens ne sont pas en reste. Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne et Miguel Arias Cañete, le commissaire à l’énergie et à l’action pour le climat pointent le danger pour mieux souligner le rôle moteur de l’Union européenne (UE) dans la lutte contre le changement climatique. Mais en y regardant de plus près, le tableau n’est pas aussi vert qu’il n’y paraît.

Mettre l’Accord de Paris dans le texte ou le mettre en œuvre ?

En matière de politique climatique, l’UE se targue d’être aux avant-postes. Il faut le reconnaître, l’UE est plutôt un bon élève mais seulement si on la compare à ses camarades de classe et non pas si on la place face aux efforts à fournir. L’Accord de Paris signé en décembre 2015 par les 195 pays membres de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) prévoit de contenir « l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels».

Depuis qu’elle l’a ratifié, l’UE intègre l’Accord dans sa législation. Toutefois, et c’est là le vice principal de l’Accord de Paris, celui-ci n’est pas contraignant. Ce qui a pour principale conséquence que si légalement l’UE adopte les objectifs de la COP21, dans la pratique, les moyens mis en œuvre sont loin d’être à la hauteur.

Selon l’article 194 du Traité de Lisbonne (TFUE), l’énergie est une compétence partagée entre les États membres et l’UE. Les États membres fixent leur « mix énergétique », la part de chaque source d’énergie dans la quantité totale d’énergie produite, et l’UE détermine les objectifs globaux en matière d’efficacité énergétique, de part des énergies renouvelables et de niveau d’émission de gaz à effet de serre.

Il y a plus de deux ans, François Hollande se félicitait de l’accord sur le climat. Deux ans après qu’en reste-il ? ©U.S. Department of State

Actuellement en négociation au sein des institutions européennes, le paquet  « Une énergie propre pour tous les Européens »[1] fixe les objectifs pour l’année 2030 à l’échelle de l’Union : entre 30 et 35 % d’amélioration de l’efficacité énergétique, entre 27 et 35 % d’énergies renouvelables[2] dans le mix énergétique et une diminution de 40 % des émissions de gaz à effet de serre[3]. Toutefois, ces objectifs sont loin d’être à la hauteur.

Se refusant à une quelconque régulation contraignante, l’UE a mis en place un marché, le plus important au monde, qui permet d’échanger des droits de polluer contre des crédits carbone. Le prix de la tonne carbone est actuellement aux environs de 8 € alors que plusieurs études considèrent que pour que le marché soit efficient, le prix devrait atteindre au moins 40 à 80 dollars en 2020.

Les études convergent pour estimer que 80 % des réserves prouvées de combustibles fossiles doivent rester dans le sol pour espérer atteindre les objectifs fixés lors de la COP 21[4], et ainsi éviter les conséquences désastreuses que pourrait occasionner une augmentation trop importante de la température du globe. Dans le même temps, l’association d’experts négaWatt considère qu’il est possible d’arriver à l’objectif de 100 % d’énergies renouvelables en France en 2050[5]. Autrement dit : des solutions existent mais la volonté politique n’est pas au rendez-vous.

Le marché carbone, une bulle financière au-dessus de la biosphère

Trois textes encadrent les émissions de gaz à effet de serre : le système d’échange de quotas d’émission de l’UE (SEQE-UE, ETS en anglais) ou marché carbone, la décision relative à la répartition de l’effort qui s’applique aux secteurs non couverts par le SEQE comme le transport, la construction ou l’agriculture (environ 60 % des émissions) et la décision concernant les émissions et les absorptions de gaz à effet de serre résultant de la foresterie et de l’agriculture, qui mesure et comptabilise les émissions et l’absorption de carbone par les terres cultivées et les forêts.

Le cas du marché carbone est le plus paradigmatique. Se refusant à une quelconque régulation contraignante, l’UE a mis en place un marché, le plus important au monde, qui permet d’échanger des droits de polluer contre des crédits carbone. Si ces crédits ou quotas d’émissions ne sont pas suffisants, les entreprises ou les pays concernés peuvent en acheter de nouveaux, souvent à un prix dérisoire. La révision des règles du marché, fruit d’une négociation intense entre le Parlement et le Conseil, vient d’être adoptée le 6 février. Le prix de la tonne carbone est actuellement aux environs de 8 € alors que plusieurs études considèrent que pour que le marché soit efficient, le prix devrait atteindre au moins 40 à 80 dollars en 2020. Les institutions ont tenté de corriger le tir en limitant le nombre de quotas d’émissions en circulation et en augmentant le facteur linéaire de réduction de ces quotas[7]. Mais il n’empêche, la finalité reste la même : donner aux marchés financiers les clefs de notre politique climatique.

Le gratin de la finance mondiale réuni par Emmanuel Macron à l’occasion du One Planet Summit. ©Number 10

Au-delà de l’inefficacité du système, celui-ci conduit à une financiarisation des écosystèmes. Pour obtenir des crédits supplémentaires, les entreprises peuvent soit acheter de nouveaux crédits soit financer des projets supposés absorber du carbone, comme par exemple la gestion « durable » de forêts primaires. Non seulement ces forêts sont privatisées mais en outre, par ce biais, elles entrent dans la sphère financière. Non content d’avoir étendu son emprise sur presque tous les pays de la planète, la sphère marchande étend son influence à la biosphère. C’est dans la même logique qu’Emmanuel Macron a lancé le OnePlanetSummit en décembre 2017 : faire en sorte que les investisseurs profitent « des opportunités » offertes par le changement climatique pour ouvrir de nouveaux marchés. Les intérêts privés paradent tandis que l’intérêt général se tapit.

A cela, il faut ajouter le soutien financier de l’UE aux énergies fossiles, en particulier au gaz naturel faussement présenté comme un « ami climatique »[8]. Selon une étude de l’ONG Counter Balance, depuis 2015 la Banque européenne d’investissement (BEI) a financé à travers le « Plan Juncker » à hauteur de 1,85 milliard d’euros de projets reposant sur les combustibles fossiles[9]. De plus, certains projets, notamment les gazoducs ou les terminaux de Gaz Naturel Liquéfié (LNG) qui reçoivent le statut de Projet d’intérêt commun, bénéficient de facilités administratives[10] et d’un accès privilégié aux sources de financements. Autant d’argent qui ne va pas vers le développement des énergies renouvelables et l’amélioration de l’efficacité énergétique.

La nécessité d’un Plan B climatique

Face à l’insuffisance structurelle des politiques climatiques de l’UE, il est crucial de dessiner les contours d’une alternative. Celle-ci implique de s’attaquer frontalement aux fondements de l’UE. L’orientation néolibérale et parfois courtermiste des institutions ne permet pas de remettre en cause les bases du système qui ont créé les conditions du réchauffement climatique. La primauté donnée à la loi du marché est fondamentalement contradictoire avec la défense de l’intérêt général et la planification à long terme des politiques économiques et énergétiques.

Sans prétendre livrer une solution clef en main, citons quelques propositions centrales qui demanderaient à être précisées et développées. La question de l’investissement est primordiale. Pour mettre en place une transition énergétique qui vise un objectif de 100 % d’énergies renouvelables[11], il est nécessaire de mobiliser de nombreux capitaux. Le financement, entre autres, de nouvelles infrastructures énergétiques ne peut dépendre uniquement de capitaux privés, principalement parce que ceux-ci sont guidés par nature par la rentabilité et non par la préservation de notre environnement. Il faut donc pouvoir mobiliser d’importants financements publics sous contrôle démocratique.

Selon une étude de l’ONG Counter Balance, depuis 2015 la Banque européenne d’investissement (BEI) a financé à travers le « Plan Juncker » à hauteur de 1,85 milliard d’euros de projets reposant sur les combustibles fossiles.

Le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire (TSCG) établit que les déficits nationaux ne doivent pas dépasser 3 % du produit intérieur brut (PIB) et que la dette publique nationale doit être inférieure à 60 % du PIB. Ces dispositions, bien que non appliquées de manière stricte, limitent grandement les marges de manœuvres financières des États membres. Or les États ont les moyens de renouveler constamment leurs dettes et d’augmenter leurs recettes via un changement de fiscalité, par exemple en mettant à contribution les couches les plus aisées de la population. Ne pas appliquer les dispositions du TSCG est donc primordial pour être en capacité de financer la transition énergétique. Il convient aussi de ne pas respecter les règles de la Commission encadrant les aides d’État. Ces règles limitent les possibilités qu’ont les États d’aider financièrement certains secteurs économiques. Dans le cas présent elles limitent l’appui que peut apporter la puissance publique au développement des énergies renouvelables.

Un des avantages des énergies renouvelables – souvent laissé de côté – est le fait que par nature, la ressource ne peut pas être privatisée. Contrairement au pétrole, au charbon, au gaz ou à l’uranium, le vent et le soleil sont accessibles à tous[12]. Remettre en cause l’extraction des combustibles fossiles c’est donc s’attaquer aux monopoles des grandes entreprises énergétiques – même si celles-ci peuvent garder le contrôle de la production. Selon les Nations unies, le système énergétique représente un cinquième de l’économie mondiale. Les réserves prouvées de combustibles figurent au capital des entreprises et des États extractivistes. Remplacer les combustibles fossiles par des énergies renouvelables, c’est refuser d’exploiter ces réserves et par conséquent renoncer à du capital et à des promesses de profit[13]. En ardent défenseur de la course au profit et des intérêts des grandes entreprises transnationales, l’UE ne peut contester cette logique implacable.

Prendre le pouvoir énergétique

Mettre en place une politique à même de répondre aux défis climatiques n’implique pas uniquement de s’attaquer aux règles économiques de l’UE. Il faut aussi remettre en cause les règles qui empêchent la participation des citoyens et le contrôle démocratique. Les différents paquets Énergie, notamment le troisième, adopté en 2009, ont profondément libéralisé le secteur à travers la mise en place du marché intérieur de l’énergie. La plupart des grands groupes nationaux ont été privatisés. Outre le fait que les privatisations se traduisent généralement par une détérioration des conditions de travail, elles privent l’État de moyens pour orienter les politiques énergétiques et défendre l’intérêt général.

Ne pas appliquer les dispositions du TSCG est primordial pour être en capacité de financer la transition énergétique. Il convient aussi de ne pas respecter les règles de la Commission encadrant les aides d’État. Ces règles limitent les possibilités qu’ont les États d’aider financièrement certains secteurs économiques. Dans le cas présent elles limitent l’appui que peut apporter la puissance publique au développement des énergies renouvelables.

Désobéir aux directives régissant le marché du gaz et de l’électricité est ainsi nécessaire pour que les entreprises énergétiques repassent dans le giron public. Mais cela ne veut pas dire automatiquement un retour au modèle des grands champions nationaux d’après-guerre. Déclarer l’énergie comme un bien commun ouvre d’autres portes : des grandes entreprises gérées au niveau national par l’État peuvent coopérer avec des entreprises gérées au niveau municipal et local. Ces entreprises peuvent prendre la forme de coopératives administrées directement par les membres. Rapprocher les lieux de production et de consommation d’énergie permet à la fois d’impliquer les citoyens et de réduire les pertes dues au transport de l’électricité sur de grandes distances.

La participation des citoyens à la transition écologique est un facteur clé de sa réussite. Les changements profonds du système productif doivent se faire avec et pour les citoyens. Les grandes orientations comme la gestion quotidienne des coopératives doivent faire l’objet de formes de participation nouvelles, ouvertes au plus grand nombre. Démocratiser en profondeur le système énergétique, c’est autant une exigence démocratique que la garantie d’un processus de transformation accepté et partagé. Pour que de tels changements aient un impact positif sur l’environnement et le climat, ils doivent être nécessairement coordonnés au niveau européen et mondial – le réchauffement climatique ne connaît pas de frontières. La coopération entre les différentes forces progressistes prêtes à désobéir aux règles imposées par l’UE est un premier pas vers une société respectueuse de la Terre et de ses habitants.

[1]Pour voir l’ensemble des mesures proposées par la Commission européenne : https://ec.europa.eu/energy/en/news/commission-proposes-new-rules-consumer-centred-clean-energy-transition

[2]La France est à la traîne en la matière. Selon Eurostat, fin 2016, la consommation finale d’énergie provenant de sources renouvelables n’était que de 16 %, en dessous de la moyenne européenne (17 %) et loin des objectifs fixés pour 2020 (23 %) et 2030 (provisoirement 32 %)

[3] Concernant l’efficacité énergétique, la Commission a proposé 30 % quand le Parlement a voté 35 % en janvier 2018 et le Conseil 27 %. Concernant les énergies renouvelables, la Commission a proposé 27 %, le Parlement 35 % en janvier 2018 et le Conseil 27 %. Ces deux textes doivent encore être négociés par les trois institutions en trilogue.

[4]https://350.org/why-we-need-to-keep-80-percent-of-fossil-fuels-in-the-ground/

[5]Scénario négaWatt: https://negawatt.org/Scenario-negaWatt-2017-2050

[6]Le prix de la tonne carbone est actuellement aux environs de 8 € alors que plusieurs études considèrent que pour que le marché soit efficient, le prix devrait atteindre au moins 40 à 80 dollars en 2020. https://www.rtbf.be/info/economie/detail_climat-un-rapport-plaide-pour-une-forte-hausse-du-prix-du-carbone?id=9619473

[7] Pour le détail de l’accord : https://www.euractiv.com/section/emissions-trading-scheme/news/parliament-rubber-stamps-eu-carbon-market-reform/

[8] Il est vrai que le gaz naturel émet beaucoup moins de CO2 que le pétrole ou le charbon. Toutefois l’UE, dans ses calculs, ne prend pas en compte les émissions de méthane. Or, si l’on considère tout le cycle de vie, le gaz naturel émet de grandes quantités de méthane, un gaz qui a un pouvoir calorifique 86 fois supérieur au CO2 sur les 20 premières années. Ce gaz est donc loin d’être aussi propre qu’annoncé. https://www.foeeurope.org/sites/default/files/shale_gas/2016/foee_briefing_-_gas_winter_package_final_en.pdf

[9]Principalement des projets de stockage du gaz et de gazoducs. http://www.counter-balance.org/wp-content/uploads/2017/11/NGOreport_EFSI_Nov2017.pdf

[10] Ces facilités administratives permettent de contourner plus facilement la législation environnementale sur l’impact direct des projets. En France le gazoduc Eridan qui doit relier Fos-sur-Mer à Dunkerque a obtenu le statut de Projet d’intérêt commun.

[11] Ce qui implique de diminuer en parallèle notre consommation d’énergie via l’amélioration de l’efficacité énergétique et la mise en avant de la sobriété énergétique. L’énergie nucléaire ne peut être considérée comme une source d’énergie renouvelable.

[12] Pour l’eau la situation est différente, puisque sa gestion peut être confiée au privé.

[13] Pour aller plus loin : Daniel Tanuro, « L’impossible capitalisme vert ? » Pourquoi ? : http://www.lcr-lagauche.org/limpossible-capitalisme-vert-pourquoi/

Crédits photo : The White House

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