Transformer le tribunal en tribune, tel était l’objectif des activistes qui ont décroché des portraits présidentiels pour dénoncer l’inaction climatique et sociale du gouvernement. Ces procès sont particulièrement importants pour démontrer le schisme entre l’écologie et le logiciel néolibéral d’Emmanuel Macron. 57 % des Français ne croient plus dans l’image du président champion de la Terre, et les campagnes du mouvement climat n’y sont pas pour rien. C’est aussi l’occasion de questionner plus fondamentalement la capacité de nos institutions à s’adapter aux enjeux contemporains, notamment l’institution judiciaire, et de comment le mouvement climat peut y contribuer efficacement. Le délibéré du procès de Lyon, qui reconnait « l’état de nécessité » pour justifier la relaxe des prévenus, doit être l’occasion d’un questionnement de fond. C’est l’objectif de ce papier.
Le 11 septembre, 8 activistes du mouvement climat et un journaliste ont été entendus par la justice pour avoir respectivement décroché et filmé des portraits officiels du président de la République dans des mairies d’arrondissement parisiennes. Au motif d’un « vol en réunion », la peine maximale encourue était de 5 ans de prison et 75 000 € d’amende. En définitive, le procureur a demandé 1000 euros, dont 500 avec sursis. Un arbitrage qui permet au gouvernement de ne pas perdre la face tant vis-à-vis de l’institution que de son rapport aux « jeunes qui s’engagent pour le climat », largement soutenus par la population. Le verdict sera rendu le 16 octobre. Pour un récit plus précis de la journée, retrouvez cet article de Reporterre.
A Lyon, le 16 septembre, le délibéré du procès de décrocheurs « locaux » a finalement prononcé la relaxe, pour motif d’ « état de nécessité » climatique. Une première historique saluée comme une avancée majeure du droit d’une part, mais qui pose aussi la question complexe du rôle politique de la Justice.
On compte désormais 130 portraits décrochés en France, et 57 prévenus. Une campagne qui s’intègre efficacement dans une stratégie de radicalisation progressive vis-à-vis du néolibéralisme, et dans un moment politique « destituant » en général, où la figure du chef de l’État est globalement affaiblie.
Décrocher Macron, un palier de radicalité nécessaire pour le mouvement climat
Les actions de décrochage de portraits présidentiel constituent un angle d’attaque complémentaire par rapport aux marches climat et aux actions de désobéissance civile qui ciblent les entreprises. Cette campagne, organisée par ANV-cop21, a démarré en février avec l’objectif de réquisitionner 125 portraits d’ici au G7 d’aout dernier. 125 portraits, c’est autant que le nombre de jours qui sépare la France de son budget écologique en 2019, c’est-à-dire la dette écologique que nous contractons vis-à-vis de ce que la terre peut reconstituer chaque année si tout le monde vivait comme un français.
Politiquement, pour le mouvement climat, le décrochage des portraits Macron est une montée en radicalité nécessaire pour construire une ligne de clivage entre écologie et néolibéralisme climaticide dont Macron est le visage par excellence. De fait, en un an, l’idée selon laquelle écologie et mondialisation néolibérale sont incompatibles a fortement progressé. Si ce débat est dépassé depuis plusieurs années par les mouvements écologistes, la population française commence à l’intégrer. Dans une enquête Harris Interactive révélée le 2 septembre, 57 % des Français ont de sérieux doutes sur l’engagement du gouvernement en matière d’écologie. Macron pourrait donc louper son pari même si rien n’est encore joué : maintenir un électorat urbain sensibilisé à l’environnement dans son giron à coup de grands discours. Nul doute que la pression exercée par le mouvement climat n’y est pas pour rien dans cette victoire culturelle.
S’attaquer directement à Macron est également parfaitement adapté, en termes de radicalité, au moment politique que nous avons traversé au premier semestre 2019. La défiance vis-à-vis du gouvernement était très forte, avec les gilets jaunes notamment. Destituer symboliquement Macron est un message clair qui permet de construire des ponts entre mouvement social et écolo, de casser l’image « écolo-bobo » que peuvent avoir les activistes climat aux yeux de la France périphérique, pour caricaturer.
En cela, cette campagne de décrochage a été un catalyseur important dans une période d’accélération historique. Si cette période est désormais close, puisque le mouvement des gilets jaunes est de fait terminé, elle a permis d’acter un alignement fort des revendications sociales et écologistes. La campagne de décrochage a d’ailleurs été rebaptisée « contre l’inaction climatique et sociale du gouvernement ». De bonnes bases sont donc posées pour la suite, qui peut arriver très vite (réforme des retraites…).
Cette alchimie favorise également l’émergence d’un nouveau bloc historique. Celui des forces de transformation sociale et écologique, par opposition au bloc libéral-macroniste, qui a phagocyté le bipartisme traditionnel, et au bloc d’extrême droite. De fait, le mouvement climat est aujourd’hui le seul espace de radicalisation des classes moyennes urbaines jeunes sensibilisées, puisque l’opposition politique sociale-écolo est laminée. Décrocher Macron, c’est un catalyseur de radicalisation efficace pour cette sociologie-là. Cependant, pour massifier, il faut veiller à bien calibrer le degré de radicalisation par rapport à l’atmosphère générale du pays. Des campagnes trop radicales, rompant par exemple avec la doctrine de la non-violence, font courir le risque de voir décrocher les catégories de la population les plus attachées au consensus, donc de marginaliser brutalement à la fois le mouvement climat, mais aussi l’image de l’écologie.
Si les ONG principales du mouvement climat ont très bien intégré cette ligne stratégique, d’autres acteurs de l’écologie radicale s’impatientent et en appellent à la radicalisation rapide et tous azimuts des actions. C’est une erreur fondamentale pour plusieurs raisons : la principale est le risque de marginalisation de l’écologie, mais celle-ci est théorisée à partir de la croyance qu’une petite minorité agissante peut faire basculer la France, un débat sur lequel nous ne reviendrons pas. L’autre grande erreur, c’est le risque de folklorisation de l’écologie alors même que la population intègre qu’il s’agit d’une question de sécurité vitale. Après les épisodes extrêmes de cet été, de plus en plus de personnes comprennent que l’inaction climatique est un manquement aux devoirs régaliens de l’État, à savoir protéger physiquement les citoyens.

Le gouvernement a rompu le contrat social.
Toujours d’après le Harris-interactive de septembre, les Français seraient 72 % à avoir montré davantage d’intérêt pour l’écologie au cours des derniers mois. Si 90 % des personnes interrogées sont plus disposés à faire des petits gestes qui ne coutent pas grand-chose comme le tri, 80 % seraient motivés à manger moins de viande, 65 % à limiter leurs voyages en avion et même 53 % à ne plus utiliser leur véhicule. On ne peut donc pas dire que cette prise de conscience soit superficielle. En un an, l’écologie est devenue un vrai sujet de société en France, et en termes d’histoire longue, c’est une évolution extrêmement rapide de l’opinion publique. Pour les municipales, seuls les impôts locaux devancent aujourd’hui l’écologie dans les thématiques de vote, devant les questions sécuritaires et culturelles : c’est une première.
Culturellement, les victoires sont donc réelles et l’énergie déployée par le mouvement climat en est une des raisons fondamentales. Mais pour atteindre une hégémonie culturelle suffisante pour permettre à l’écologie sociale de prendre le pouvoir, il faut néanmoins faire éclater le plafond de verre qui existe encore, vis-à-vis notamment des secteurs traditionnels de la droite. Pour faire éclater le plafond du vert, il faut démontrer que l’écologie est la seule porte de sortie d’une crise qui sera aussi largement sécuritaire et qui menace les fondements du rôle de l’État. Décrocher Macron, c’est aussi une opportunité pour le rappeler et l’imposer dans le débat public.
Lors des auditions au tribunal, les prévenus ont largement appuyé leur rhétorique sur les risques sécuritaires catalysés par le changement climatique. Une infraction minime – voler un portrait – doit être comparée à une infraction majeure au droit des populations à vivre dignement, dans une planète qui ne soit pas une étuve. Emmanuel Macron est ainsi montré du doigt comme étant le responsable d’une incapacité à respecter ce qui fonde philosophiquement le droit constitutionnel, tant pour la droite que pour la gauche.
Pour les conservateurs, le droit est construit à partir de la théorie de Thomas Hobbes. L’État est un Léviathan, un monstre auquel on abdique son droit de nature[1] en faveur d’un souverain absolu qui garantira la paix civile grâce à la puissance de répression dont il dispose. Pour les progressistes, c’est plutôt Rousseau qui formule les principes généraux du droit. Pour qu’une société soit société, chacun renonce à sa liberté naturelle pour gagner une liberté civile : c’est le contrat social. La souveraineté populaire, à travers la démocratie, est la garante de la liberté et de l’égalité des individus et les volontés particulières se plient à la volonté générale. La République française est un mixte entre plusieurs doctrines, mais cette tension entre conception hobbesienne et rousseauiste de l’individu et du droit est encore bien vivante.
Le changement climatique, c’est à la fois une menace physique sur les personnes et sur les biens, et aussi une menace pour la souveraineté nationale. Des hommes confrontés à des évènements climatiques et des conflits à répétition perdent la liberté de jouir des droits qui leurs sont garantis par le contrat social. Ils ne sont donc plus égaux, puisque l’égalité est une construction juridique. Dans les deux cas, qu’on soit de gauche comme de droite, il est évident que par son inaction climatique, Macron n’est ni un garant de l’ordre et de la propriété, ni de la souveraineté populaire.
Que ce soit Hobbes ou Rousseau, ces deux philosophies du droit sont modernes au sens où elles sont empiristes et rationalistes : seul un raisonnement rigoureux, déductif peut amener à une « théorie scientifique » des lois morales et de l’organisation politique (par opposition au relativisme des croyances religieuses). Dès lors, ne pas intégrer viscéralement les conclusions du GIEC dans ses politiques publiques, c’est aussi un retour au relativisme. C’est une autre facette du néolibéralisme : la liberté absolue du marché, non régulée par une puissance publique rationnelle, est un retour à un stade beaucoup plus primitif de civilisation : un retour à l’avant-Révolution française.
Il y a donc fondamentalement toutes les raisons d’attaquer symboliquement Macron. Le camp de l’écologie est en cela le seul à pouvoir déployer une critique radicale et transversale, pas seulement « de gauche », de son inaction. Mais pour que le procès des décrocheurs de portrait soit une occasion de déployer une telle sémantique, il faut bien marquer la différence entre le fait de s’attaquer au gouvernement et celui de s’attaquer aux institutions.
Lorsqu’on a la chance de disposer d’un État solide dont la Constitution définit théoriquement le caractère social et démocratique, il faut le défendre, surtout si l’on veut un jour se donner les moyens d’opérer une transition écologique rapide. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le bloc libéral-macroniste cherche à démanteler la puissance publique sous toutes ses formes.
La grande majorité des français est attachée aux institutions républicaines, a fortiori dans la « France périphérique ». Ces institutions sont largement perçues comme protectrices, garantes de stabilité. La stabilité est une demande populaire d’autant plus forte que nous traversons une période de crise sociale dont la mondialisation néolibérale est la cause principale. Avec le changement climatique, la demande de protection sera encore plus forte. Entrainer les classes populaires dans le camp de l’écologie sociale, c’est donc aussi marquer son attachement aux institutions. Il faut apparaitre comme sérieux et digne de confiance : personne ne fait confiance aux aventuristes qui veulent tout envoyer balader.
Cette démarcation entre gouvernement et institutions a été bien explicitée pendant les audiences des décrocheurs, ce qui de fait renforce la crédibilité du mouvement climat. Cependant, il est nécessaire de continuer dans ce sens en proposant une rhétorique médiatique qui intègre davantage la question institutionnelle – l’échelon national – en plus du duo traditionnel local-global.
Quelque part, le décrochage des portraits est l’occasion de renforcer les institutions françaises, en les poussant à s’adapter très rapidement au changement climatique. Cela peut être un élément d’un discours constructif et positif, qui a toujours son succès : « nous voulons pousser l’État à se moderniser pour répondre au mieux à ses missions ». Dans cette logique, l’institution judiciaire à laquelle est directement confronté le mouvement climat aurait bien besoin de se mettre à la page.
L’institution judiciaire doit s’adapter á l’urgence climatique
Le droit actuel contient déjà tous les outils pour justifier théoriquement la lutte contre l’inaction climatique. Il est possible de citer par exemple les trois premiers articles de la Charte de l’environnement qui fait partie du bloc de constitutionnalité : « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé (Art. 1) ; Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement (Art. 2) ; Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences (Art. 3) ». L’article 5 stipule quant à lui : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. ».
Plus classiquement, l’Art. 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui fait aussi partie du bloc de constitutionnalité, dispose que « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression ». Le changement climatique menace l’ensemble de ces droits, et ainsi constitue une oppression qui légitime une résistance. L’inaction climatique est liberticide, elle prive les populations de la liberté de vivre décemment.
Dans cet esprit, la défense des activistes du mouvement climat s’est largement appuyé sur « L’état de nécessité » (art. 122-7 du Code pénal), c’est à dire « la situation dans laquelle se trouve une personne qui, pour sauvegarder un intérêt supérieur, n’a d’autre ressource que d’accomplir un acte défendu par la loi pénale ». Devant le fait que le changement climatique est bien un danger actuel – en témoignent les sècheresses, canicules, incendies et ouragans de cet été – et que les émissions de GES françaises baissent deux fois moins vite que ce que préconise le GIEC pour les diviser par deux en 2050 (rappelons qu’en 2018, l’hiver fut particulièrement doux ; en 2017, les émissions avaient augmenté de 2,7 %.) et surtout devant le fait que la France ne respecte pas ses propres engagements en la matière, l’argument pèse. Fait historique : à Lyon, le délibéré du 16 septembre quant aux décrocheurs de portraits lyonnais a prononcé la relaxe au nom de cet état de nécessité. Voici 2 extraits qui en attestent :
« Attendu que, face au défaut du respect par l’État d’objectifs pouvant être perçus comme minimaux dans un domaine vital, le mode d’expression des citoyens en pays démocratique ne peut se réduire aux suffrages exprimés lors des échéances électorales, mais doit inventer d’autres formes de participation dans le cadre d’un devoir de vigilance critique ; »
« Attendu,[…] que, dans l’esprit de citoyens profondément investis dans une cause particulière servant l’intérêt général, le décrochage et l’enlèvement sans autorisation de ce portrait dans un but voué exclusivement à la défense de cette cause, qui n’a été précédé ou accompagné d’aucune autre forme d’acte répréhensible, loin de se résumer à une simple atteinte à l’objet matériel, doit être interprété comme le substitut nécessaire du dialogue impraticable entre le président de la République et le peuple ; »
« Pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. »
Montesquieu, L’Esprit des lois – 1748.
La tolérance de ce délibéré s’explique par la non-violence affichée des prévenus. C’est en ça une victoire qui légitime l’efficacité de ce mode d’action. On est très loin de la sévérité avec laquelle les gilets jaunes ont été traités par la justice. Si des violences et des dégradations ont terni l’ensemble du mouvement des gilets jaunes, impactant forcément le délibéré des procès au cas par cas, la différence de traitement montre aussi une certaine « hostilité de classe ». Or, l’égalité devant la loi est le pilier de notre République. En cela, la dernière phrase « […] le décrochage […] doit être interprété comme le substitut nécessaire du dialogue impraticable entre le président de la République et le peuple » est quelque peu problématique. Elle explicite un jugement de valeur politique qui ne s’appuie sur aucun article de loi, ce qui est à la fois intolérable (imaginons qu’une force écologiste et sociale soit au pouvoir et que des juges réactionnaires se permettent de tels jugements de valeur) et dommageable, puisque le parquet fait appel du jugement et que la réaction du reste de l’institution judiciaire sera sans doute ferme, et ce sont les décrocheurs qui en subiront les conséquences.
En somme, si des avancées jurisprudentielles sont plus que nécessaires, la justice ne peut se substituer au politique. C’est une question d’équilibre et de degré : il faut procéder petit à petit en jurisprudence, sous peine d’ouvrir une boite de Pandore en signifiant aux juges qu’ils sont tout permis. La jurisprudence a toujours revêtu, dans les pays démocratiques, un caractère assez politique, et surtout constitué une réponse pratique, fonctionnelle à « l’irréductibilité du réel » (le fait que la loi ne peut pas tout couvrir). En France, le droit du travail a par exemple particulièrement évolué, indépendamment de la modification des lois. Cependant, la justice ne peut être politique, car elle n’est pas en prise avec la démocratie. Un changement majeur de la juridiction pour l’adapter à l’anthropocène est par contre essentiel et il se fera par la volonté du peuple souverain via le pouvoir législatif élu, en 2022 par exemple. Cependant, il ne faut pas oublier qu’il y avait des précédents au délibéré de Lyon. Lors des procès des « faucheurs de chaises » par exemple, les prévenus avaient déjà été relaxés, signe que la justice commençait à se positionner favorablement par rapport aux actions non violentes à caractère écologiste.
La séparation des pouvoirs, pilier constitutionnel [2] qui trouve racine dans la théorie de Locke et Montesquieu, vise à contrebalancer les potentielles dérives. Le judiciaire et le législatif sont censés refréner les ardeurs autoritaires de l’exécutif. Or celui-ci, parce qu’il domine largement dans la Vème République, endosse la responsabilité d’une politique qui conduit à terme à la restriction des libertés, puisque vivre dans un environnement serein est une liberté fondamentale. L’inaction climatique est donc, quelque part, une autre facette de la dérive illibérale du quinquennat Macron. Ce dernier ne s’est d’ailleurs pas privé de mobiliser le service antiterroriste et le Service central de renseignement criminel de la gendarmerie pour identifier et poursuivre les décrocheurs de portraits. Dans ce contexte, la justice pourrait très bien se sentir investie du devoir de contrebalancer l’exécutif en ne pénalisant pas les actions climatiques non violente à visée symbolique, comme ce fut le cas à Lyon.

Incarner ce que Macron ne peut plus être, une perspective nécessaire pour le mouvement climat
Ces questions philosophico-politiques sont certes passionnantes, mais encore faut-il en tirer quelque chose de concret. Il faut évidemment se demander comment exploiter au mieux de tels procès sur le plan politique, pour faire avancer ses pions sur l’ensemble de l’échiquier. En cela, plusieurs fenêtres d’opportunité s’ouvrent pour le mouvement climat.
Ces procès sont par exemple une occasion de casser le clivage générationnel construit autour du climat, tant par le système médiatique que certains jeunes militants adeptes du « jeunisme ». L’universalité et l’immédiateté des dégâts du changement climatique invalident tout discours de type « les jeunes se battent pour leur futur ». De fait, un tel discours folklorise la lutte climatique et la vide de son potentiel subversif. Il éloigne les plus de 40 ans de l’engagement, au profit d’une posture de bienveillance confortable envers « les jeunes qui s’engagent ». Or en poussant le gouvernement à la répression judiciaire, le mouvement climat extirpe intelligemment la bienveillance générationnelle de l’apparat jupitérien. Pour beaucoup, un président doit se comporter en bon père de famille, et donc ne pas envoyer les adolescents qui lui tiennent tête en prison. C’est symboliquement délétère pour Macron, mais encore faut-il l’exploiter médiatiquement.
C’est d’ailleurs là qu’un autre point intéressant apparait. Grâce à ces procès, des figures, notamment féminines, ont été mises en avant médiatiquement. Faire émerger des figures médiatiques est nécessaire dans une époque qui concentre les projecteurs sur les individus, et non plus les corps intermédiaires (partis, syndicats, etc.). Sans de nombreux passages télé et magazine, difficile de faire porter son message de façon transversale dans la société. C’est ce qui a toujours manqué au mouvement climat, à l’heure où les algorithmes Facebook favorisent les effets de bulle.
La construction d’une narration portée sur le storytelling personnel ayant conduit à l’engagement, en amont à travers des textes et des vidéos sur les réseaux sociaux, était également très bien calibrée par rapport à un des objectifs stratégiques : humaniser le procès pour que chaque personne qui s’engage puisse se mettre à la place des prévenus et comprendre la réalité de la violence politique du gouvernement. Le storytelling marche de plus extrêmement bien dans l’univers médiatique. Culturellement pourtant, à gauche, il est malaisant de mettre en avant une histoire personnelle. La tendance est à toujours parler de manière impersonnelle, ce qui bride la production d’affects, pourtant capitale en politique.
Mais des figures pour des figures, cela ne suffit pas. Contre un Macron qui ne remplit pas ses devoirs régaliens, il faut des porte-paroles capables d’incarner aussi une dimension régalienne : adopter une posture à la fois jeune, dynamique, mais rigoureuse, pousser le discours bien au-delà du slogan. Il faut être capable d’argumenter sur les aspects sécuritaires, l’incompétence technique du gouvernement… bref d’incarner l’ordre, une boussole de stabilité dans une anarchie néolibérale.
Conclusion
La politisation des procès des décrocheurs de portraits est une occasion utilisée avec brio pour contrecarrer le déploiement du discours écologiste de Macron. La date du procès parisien tombe en cela très bien : juste au moment où Macron essaye de vendre un tournant vert. Il intervient également juste avant le 21 septembre, date de la grève mondiale pour le climat, qui sera une belle occasion de mesurer le degré de massification.
Désormais, il faut exploiter les interstices ouverts par ce procès : continuer à porter l’offensive contre les tenants d’un néolibéralisme climaticide tout en continuant à déployer un discours régalien. Le mouvement climat défit le gouvernement dans les rues, il doit le défier également sur le pragmatisme, sur la compétence, montrer que le camp du sérieux est le sien. Pour cela, il ne suffit pas de se déclarer porte-parole de la communauté scientifique, il faut incarner une posture institutionnelle.
[1] C’est-à-dire la liberté que chacun a d’user de sa propre puissance, comme il le veut lui-même pour la préservation de sa propre nature. Pour Hobbes, l’homme à l’état de nature est foncièrement violent, « L’Homme est un loup pour l’Homme ». Il s’oppose en cela à Rousseau, pour qui l’Homme est foncièrement bon, mais corrompu par la société.
[2] L’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui fait partie du bloc de constitutionnalité : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».
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