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Le CETA : un « coup d’Etat démocratique » qui signe l’arrêt de mort de la COP 21

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Vendredi, la commission d’évaluation du CETA mise en place par Emmanuel Macron a remis son rapport. Son constat est lapidaire : « Le grand absent de l’accord est le climat. » Négocié dans le plus grand des secrets par la Commission Européenne depuis 2009, le CETA n’est pas un simple accord de libre-échange entre l’UE et le Canada : il vise l’effacement des barrières non-tarifaires, c’est-à-dire l’harmonisation des normes sociales et environnementales entre les deux espaces.

Le CETA oriente l’UE vers une pente toujours plus oligarchique et anti-démocratique : le système des tribunaux d’arbitrage spéciaux remet en cause la capacité des Etats à adopter des législations environnementales. D’ailleurs, le traité s’appliquera en France de façon provisoire dès le 21 septembre avant même que le Parlement ne l’ait ratifié. En fait, il participe de la volonté des Nord-Américains d’exercer un contrôle sur le destin des peuples européens. Après l’adoption de ce traité, il leur sera encore plus difficile de remettre en cause l’ordre global imposé par les Etats-Unis, qui avance sur ses deux jambes : le productivisme, qui menace la survie de notre écosystème, et la guerre sociale, institutionnalisée par la mise en concurrence de tous les travailleurs de la planète.

Si le ton du rapport est modéré, le contenu du texte semble, quant à lui, lapidaire. La commission se montre inquiète vis-à-vis du respect du principe de précaution : « L’absence de citation explicite de ce terme dans le texte de l’accord crée une incertitude sur l’éventualité de contestation par le Canada de dispositifs futurs.  » Plus loin, on croirait lire un texte écrit par des militants écologistes : « Les chapitres de l’accord concernant l’environnement ont le mérite d’exister, mais ils ne contiennent aucun engagement contraignant. (…) On peut regretter sur ce point le manque d’ambition de l’accord. Par exemple, il n’est pas fait mention d’engagements à diminuer les subventions dommageables à l’environnement, en particulier les subventions aux énergies fossiles et à la pêche. (…) Le grand absent de l’accord est le climat. Le manque est patent dans trois dimensions : (1) la dimension purement commerciale (rien n’est prévu pour limiter le commerce des énergies fossiles et la hausse des émissions de CO2 du transport international maritime et aérien induite par l’augmentation des flux de commerce), (2) la dimension investissement (rien n’est prévu pour inciter à la mise au point et l’adoption de technologies moins émettrices de carbone, pas de clause d’exclusion pour les mesures relatives à la lutte contre le changement climatique dans l’ICS), (3) la dimension de la politique économique (rien sur la convergence des instruments de lutte contre le changement climatique).« 

Les menaces que l’on pressentait sur l’agriculture sont confirmées par la commission : « L’accord entraînera une augmentation globalement limitée des importations européennes de viandes de porc et de bœuf canadiennes, susceptible d’affecter négativement un secteur de l’élevage déjà affaibli dans l’Union européenne. (…) Mais surtout, les conditions d’élevage diffèrent beaucoup entre l’Union européenne et le Canada. Si l’accord prévoit de créer au Canada une filière bovine spécifique garantie sans hormone destinée à l’exportation vers l’Union européenne et une filière porcine sans traitement à la ractopamine, il est muet sur les questions du bien-être animal, de l’alimentation animale (farines animales ou non ?) et de l’administration d’antibiotiques comme activateurs de croissance. Le risque est que le CETA ne fournisse pas des conditions favorables aux objectifs de la transition écologique de l’agriculture (maintien de la place des prairies et de l’association polyculture-élevage notamment), en particulier dans le secteur de l’élevage bovin allaitant, déjà en difficulté depuis de nombreuses années. » En clair, le CETA risque de condamner l’agriculture biologique. Par ailleurs, ils est en total décalage avec l’ambition, déjà insuffisante, affichée lors de la COP 21. La commission d’évaluation ne fait rien d’autre que répéter, en termes policés, les critiques que les mouvements anti-libéraux adressent depuis des années au CETA : il menace gravement l’écosystème et condamne l’agriculture biologique européenne.

Le CETA, dernier d’une longue liste de coups d’états anti-démocratiques

« Coup d’état démocratique« , c’est en ces termes que l’ONG Food Watch, loin d’être composée d’exagérés et d’idéologues, qualifie le procédé. Pour se rendre compte du coup porté à la démocratie, il suffit d’étudier la procédure d’adoption du CETA. Depuis 2009, sans que jamais le peuple ne soit saisi ni informé, la Commission Européenne, négocie, dans le plus grand des secrets, cet accord de libre-échange avec le Canada. La résolution votée au Parlement Européen en 2013 sur le sujet ne contient aucun élément précis sur le contenu des négociations. Le document n’a pas été publié avant la conclusion des négociations en 2014. 5 ans de négociations se sont déroulées sans que les citoyens ne soient informés du processus d’une quelconque manière. On cherche toujours, parmi les grands médias, quelqu’un qui aurait relayé leurs inquiétudes. Il a fallu attendre que des protestations s’élèvent un peu partout pour que le conseil européen exige de la Commission que le traité soit défini comme « mixte », afin qu’il fasse objet d’un vote au sein des Parlements nationaux. Cependant, une partie du traité s’appliquera avant toute discussion au Parlement. Quoi qu’il arrive, à partir du 21 septembre prochain, on mangera du CETA. Seuls sont exclus les dispositions relatives à la propriété intellectuelle et aux tribunaux d’arbitrages spéciaux : il faudra attendra la ratification au Parlement.

Le contenu de l’accord lui-même comporte des éléments d’une violence écologique et sociale importante. Ainsi, il institue un Forum de coopération réglementaire qui aura pour tâche d’harmoniser les normes sanitaires et environnementales entre les deux espaces. A-t-on la certitude qu’une fois les normes harmonisées, on aura le droit à une véritable discussion dans le pays pour s’assurer que les normes protégeront effectivement l’environnement et la santé ? Au vu du laxisme d’un gouvernement Français infesté par les lobbys, qui s’est illustré par sa lâcheté sur la question des perturbateurs endocriniens, on peut en douter. L’harmonisation de ces normes visera certainement davantage à développer les échanges commerciaux qu’à protéger l’environnement et la santé. Mais ce n’est pas tout. Avec l’UE, le pire est toujours le plus sûr. Ainsi, le CETA est doté d’un mécanisme proche des fameux « tribunaux d’arbitrage spéciaux » inclus dans le TAFTA. Malgré de nombreuses protestations populaires et la courte résistance de la Wallonie, une « Cour sur l’investissement » a été instituée.

©UNCTAD. Licence : Creative Commons Attribution-Share Alike 2.0 Generic license.

Sur le principe, rien de nouveau : une juridiction parallèle aux juridictions nationales traitera les plaintes déposées par les multinationales contre un Etat qui changerait sa législation environnementale par exemple. En d’autres termes, une fois les normes environnementales, sanitaires et sociales harmonisées dans le forum, si un Etat modifie sa législation (interdiction de l’importation de certains OGM, lutte contre le tabagisme, interdiction de la fracturation hydraulique), il s’exposera aux plaintes des multinationales qui demanderont des dédommagements au motif d’avoir subi un préjudice financier. Ce dispositif protège les investisseurs, au mépris de la santé, de l’environnement et de l’intérêt général. L’investisseur pourra choisir la juridiction la plus à même de protéger ses intérêts. Une fois les normes établies et le traité signé, il sera très difficile pour un peuple de décider souverainement de règles écologiques et sociales nouvelles : c’est la négation même de la démocratie. Des arbitres non élus pourront condamner un Etat qui décide démocratiquement de mieux protéger l’environnement. Les Etats ne s’aventureront pas à mieux protéger l’environnement par peur de la procédure. Le Canada fait office de précurseur dans ce domaine, puisqu’il a saisi l’OMC contre des mesures de protection de la santé sur les pesticides ou les OGM présentes en Europe.

En définitive, la France va appliquer un traité d’une importance fondamentale sans que jamais le peuple français ne se soit prononcé sur la question, et alors même que 4 millions de citoyens de pays européens s’y sont opposés dans le cadre d’une Initiative Citoyenne Européenne que l’UE a rejetée, et que 2000 collectivités locales se sont déclarées hors CETA et hors TAFTA.

Le CETA signe l’arrêt de mort de la COP 21

Sur le plan écologique, le CETA signe l’arrêt de mort de la COP 21. S’il accepte l’application de ce traité, Macron en aura terminé avec l’enfumage résumé par le slogan « Make our planet great again« . L’accord de Paris n’est pas mentionné une seule fois dans les 454 pages de l’accord ! Les deux petits chapitres consacrés à l’environnement ne contiennent rien de contraignant. Ce sont de pures pétitions de principe. L’augmentation des échanges que cet accord va provoquer aura pour conséquence une nette augmentation des gaz à effet de serre. La Commission européenne, elle-même, reconnaît, dans sa propre étude d’impact, que la hausse des échanges avec le Canada (+23%) aura pour conséquence une augmentation des émissions de méthane et d’oxyde d’azote alors que l’UE s’est engagée à réduire ses émissions de gaz  effets de serre de 40%.

Le CETA aura toute une série de conséquences environnementales notamment sur l’importation du gaz et du pétrole de schiste canadien. Au passage, le système de règlement des conflits par tribunaux d’arbitrages spéciaux permettra aux entreprises d’attaquer la France sur l’interdiction de la fracturation hydraulique ou sur les produits que le Canada ne considère pas comme OGM et qu’il pourrait nous venir à l’idée interdire. Chacun comprend bien que le CETA fonctionne comme un cheval de Troie afin de commercialiser des produits que la France considère comme OGM, mais que le Canada ne considère pas comme tels. L’accord permet de faciliter l’importation de sables bitumeux. Or l’exploitation de cette énergie fossile produit 1,5 fois plus d’émission de gaz à effet de serre que des pétroles conventionnels. Qu’en pense Nicolas Hulot qui veut interdire la production d’hydrocarbures sur le territoire français ?

« Le grand absent du CETA est le climat ». Extrait du rapport de la Commission d’évaluation sur le CETA

L’agriculture va subir de plein fouet le CETA. Ainsi, seules 173 Indications Géographiques Protégées sur 4500 sont reconnues dans l’accord. Vous aurez donc le plaisir de goûter des produits « style » Munster ou du fromage « type » Feta venus du Canada. N’est-ce pas formidable ? Surtout, l’agriculture française sera mise en concurrence avec les tonnes de porc et de bœuf qui vont déferler en Europe. Il sera d’autant plus difficile de résister à la concurrence que l’agriculture canadienne a franchi un seuil sans précédent en termes de productivisme. Les fermes canadiennes peuvent concentrer jusqu’à 30 000 bêtes, nourries  à 90% de maïs OGM et soumis à des antibiotiques activateurs de croissance.

Enfin, sur le front de l’emploi, le CETA va agir comme une vaste entreprise de casse sociale. Le traité prévoit la fin des limitations d’accès aux marchés publics et l’ouverture du marché des services. C’en est fini des espoirs de relocalisation de la production. Au niveau des statistiques de l’emploi stricto sensu, il faut relever que Pierre Kohler et Servaas Storm de la Tufts University près de Boston ont publié une étude qui prévoit 200 000 suppressions d’emplois dans l’UE et 45 000 emplois en France d’ici 2023 !

Les économies canadiennes et américaines tailleront des croupières aux industries européennes. Le libre-échange opère toujours la même mécanique de course au moins disant social par la mise en concurrence de millions de travailleurs entre eux. Le Canada n’a, par exemple, pas ratifié la convention internationale sur le droit d’organisation et de convention collective et ne dispose toujours pas de mécanisme de sanctions en cas de violation des droits et de la réglementation en matière sociale et du travail.

Il s’agit de mettre l’Europe au pas de l’Empire Américain

On le dit trop peu, mais dans le cas du CETA, comme dans d’autres domaines, la géopolitique commande la politique. Les bondieuseries du président Macron sur les mérites du libre-échange ne condamnent pas seulement toute volonté d’accomplir la transformation écologiste de la société. Elles sont au service d’un projet bien plus vaste mis au point par les Etats-Unis d’Amérique. Empire déclinant, les Etats-Unis ont besoin de fortifier le bloc occidental pour imposer leur hegemon à la Chine et aux pays asiatiques en général. Depuis l’échec du cycle de Doha pour constituer un marché mondial qui abolirait toutes les barrières aux libre échange, les Nord-Américains ont décidé de signer des accords bilatéraux avec l’UE. La sachant plus docile, ils pensent pouvoir imposer leur normes environnementales productivistes et leurs normes sociales violentes à l’espace européen tout en protégeant les investissements de leur multinationales en ôtant leur capacité aux Etats de définir leurs propres normes (création des tribunaux d’arbitrage spéciaux). Par la signature d’un OTAN commercial, les Américains pensaient alors pouvoir imposer leur ordre commercial, social et environnemental au continent asiatique.

Las, Trump a fait échouer le TAFTA. Rien n’est perdu pour les Américains puisque les 81% d’entreprises américaines ayant une filiale aux Canada vont pouvoir déferler en Europe grâce au CETA, cheval de Troie de l’industrie américaine. C’est la raison pour laquelle le CETA a été négocié dans le plus grand secret. Au vue des résistances populaires européennes et canadiennes, les Nord-Américains avaient raison de se méfier. Grâce aux mécanismes de protection des investissements, ils ont dépossédé les pays européens d’une part de leur souveraineté en matière de production de normes. Ayant harmonisé l’espace euro-américain, ils vont pouvoir s’attaquer au continent asiatique. Tant pis pour le seul écosystème compatible avec la vie humaine, et tant pis pour les travailleurs des deux rives de l’Atlantique, engagés dans une concurrence folle au productivisme le plus abscons et au moins disant social le plus brutal.

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